lundi 12 avril 2010

Ibrahim Bah
Un cireur aux grandes ambitions

C’est à 8 heures que commence la journée de travail d’Ibrahim. Jeune garçon de 11 ans vivant avec sa tante maternelle, il économise son gain pour réaliser son plus grand rêve : terminer ses études. Le cireur Guinéen afin d’attirer plus de clientèle est proprement vêtu et s’exprime en français dans le but d’améliorer sa connaissance de la langue de Molière.

Nous sommes dans un quartier populaire de la ville. Parmi les bidonvilles de la Médina, se dresse la maison de la tante de notre hôte. Une maison collée a un atelier de soudure : celui de l’oncle d’Ibrahim. A l’intérieur un salon presque vide comprenant un fauteuil en piteux état est déchiré par endroits. Dans un coin de la pièce, une table sur laquelle est placée une baguette de pain, quelques morceaux de sucre et dans une casserole une eau noirâtre attire l’attention de par son odeur nauséabonde. Tout au long du mur droit sont alignés des chaises en bois. Toute cette pièce est éclairée par une unique fenêtre qui semble ne jamais se fermer ne possédant ni vitre ni volets. De cette ouverture les bruits incessants et assourdissants nous viennent de l’atelier ou malgré l’heure matinale l’oncle est déjà au travail.
Dans cette maison comprenant deux chambres, habite sept personnes : Mariam la tante, Idrissa L’oncle, Mor le fils aîné, Moussa, Binta, Kadiatou et Ibrahim qui est venue de Conakry grossir l’effectif de la famille. La chambre de droite, la plus grande est le domaine des parents. L’autre est occupée par les filles de la famille. Ibrahim et les autres garçons se contentent du salon : « Nous, nous dormons ici. A la nuit tombée nous installons des matelas que nous rangeons à l’appel du muezzin afin de faire de la place pour la prière du matin » nous explique Ibrahim en désignant la pièce. Apres avoir avalé son petit dejeuné constitué d’un morceau de pain noyé dans du quinquéliba, notre petit cireur se hâte vers son trousseau de travail : une boite en bois de forme rectangulaire contenant un fil en rouleau blanc, trois grandes aiguilles, un morceau de caoutchouc de couleur noire, une brosse a chaussure, des boites de cirages de couleurs marrons et noires, une bouteille contenant de la glue et sans oublier une bouteille en plastique contenant de l’eau savonneuse pour le nettoyage. Cet arsenal est accompagné d’un instrument en fer long de 50cm dont les deux extermités comprennent une plateforme faite de la même matière. « Ce petit objet me sert de support. C’est sur ça que mes clients posent le pied pour cirer ou pour nettoyer les chaussures. C’est aussi un moyen d’appeler les clients », nous explique Ibrahim en saisissant la boite par une corde et en la plaçant sur son épaule droit. Accomplissant ce geste, notre cireur est fin prêt pour sa tournée du jour, il est 8 heures 30.
Ibrahim longe les rues de son quartier en tapant sur le petit objet en fer et en criant « cirasse, cirasse, cirasse ». Mais ce mot, il ne l’a pas prononcé toute sa vie. Ibrahim est né dans une famille aisée. Son père était commerçant et sa mère était femme au foyer. Il est né à Conakry et a fréquenté avec ses trois frères aînés une école privée de son quartier. Il était en 4 eme année lorsque son père décède d’une courte maladie. Sa mère des lors est inconsolable et se laisse mourir de chagrin deux mois après celui de son mari. Les trois frères d’Ibrahim déjà adolescents décident de partir en aventure chacun de son coté. Le benjamin de la famille devait rejoindre la tante Mariam, la sœur de leur mère installée au Sénégal. C’est ainsi que le petit Ibrahim se retrouve à Dakar en 2008, il avait alors 9 ans. « Quand je pense à cette période je me dis que le destin s’est acharné contre moi et que la vie m’a pris mes parents et m’a éloigné de mon pays. Mais en même temps j’ai eu de la chance parce qu’avant la mort de mes parents j’ai été a l’école ou j’ai appris beaucoup de choses, ce qui n’est pas donné à mes camarades cireurs », nous dit, Ibrahim avec une once de nostalgie dans la voix.
Il est 9 heures et notre cireur emprunte maintenant la grande voie de la Médina lorsqu’il est halé par son premier client. L’homme grand de teint noir habille en costume noir et une cravate blanc noué autour du cou demande en wolof : « c’est combien petit pour le nettoyage et le cirage » ? « Cela fera en tout deux cents francs Messieurs », répond Ibrahim en français. Le client hoche de la tête et aussitôt, le cireur s’accroupie et pose son support de pied et sa boite par terre. Le client pose alors son pied droit sur le petit instrument en fer, le travail peut commencer. De ses petites mains aux doigts fins, Ibrahim sort de la boite la bouteille à l’eau savonneuse et un torchon. Au fur et à mesure qu’il applique l’eau sur la chaussure, le torchon dans la main droite frotte de toutes ses forces. En laissant la chaussure droite séchée, il s’occupe de la gauche. Apres le nettoyage vient l’application du cirage. Pour cela, il sort la boite de cirage noir et un petit objet qu’il plonge dans la boite et applique le cirage sur la chaussure. Ensuite, il s’empare de la brosse et commence à frotter de nouveau de telle sorte que le produit pénètre dans la chaussure et jusqu'à ce que celle-ci brille. Le même processus est appliqué à l’autre chaussure. Apres quoi Ibrahim lance un « c’est fini messieurs ». Le client scrute ses pieds à la recherche d’un travail mal fait. Mais ne trouvant rien à dire, il plonge sa main à l’intérieur de sa veste et sort une pièce de sa poche. Ibrahim prend la pièce et la glisse dans sa poche en lançant « merci Messieurs ». « J’aime parler le français avec mes clients, ça me permet de perfectionner mon langage. C’est pour cela que j’ai choisi ce métier au lieu de l’atelier de soudure de mon oncle comme il me l’a proposé à mon arrivée », nous lance le cireur de sa voix claire et en esquissant un sourire qui laisse voir des blanches et bien rangées.
Au fur et à mesure qu’Ibrahim avance sous le soleil, les clients se multiplient. Il accomplit son travail toujours avec la même concentration. A force de frotter et a cause de la chaleur, son tee- shirt noir est mouille et des goûtes de sueur perle à son front.
Il est midi, le soleil est à son zénith. Ibrahim est au niveau du carrefour sham, son lieu de travail. C’est ici à coté des vendeurs d’habits et de chaussures que le cireur passe le reste de sa journée. Sous une tente de fortune pour se protéger du soleil, il s’installe près de ses camarades déjà sur place. « Bonjour a tous » lance-t-il « Bonjour le blanc » répondent en chœur ses amis. « Le blanc » est le surnom que lui donne ses collègues « Nous l’appelons ainsi parce que lui il est un peu différent de nous. Il ne parle que français en plus il s’habille bien ce qui fait les clients le remarque et vont vers lui », explique un petit de teint noir aux vêtements sales et aux yeux rouges appelé Amadou.
En effet, l’accoutrement d’Ibrahim n’a rien à voir avec celui de ses copains. Environ 1m30, cheveux lisses et noirs, teint claire, il est habillé avec distinction pour quelqu’un qui exerce son métier : pantalons jeans de couleur bleu, tee-shirt noir a l’effigie de la carte de l’Afrique, le tout assorti aux baskettes blanches avec des marques sur les cotés. Il se dégage de sa personne une grande sérénité de quelqu’un qui sait ce qu’il veut et où il va dans la vie. Sur son front clair une marque qui attire l’attention : celle de quelqu’un qui accomplit ses cinq prières quotidiennes. « Je sais que tous mes amis se demandent comment je fais pour rester propres tous les jours. Mais moi j’ai fais des études et ma mère m’a habitué à être propre et bien habillé, c’est pour cela que je remercie le bon Dieu et que je prie pour le repos de l’âme de mes chers parents » nous dit-il avec tristesse.
C’est donc sous cette tente du carrefour sham qu’Ibrahim gagne le reste de sa clientèle. Entre jeunes, adultes, vieux et même femmes il n’a pas une minute à lui. Il travaille, en silence, l’air ailleurs. « Quand je travaille, je pense à mes projets qui me tiennent tant a cœur. Je comptes chaque sou et je sais déjà quoi en faire ». Parmi ces programmes figurent en bonne place le fait de terminer ses études. En effet, chaque sou qu’il gagne est confié à la tante Mariam. Pendant ces deux années passées à travailler, Ibrahim sait qu’il réussi à économiser une somme importante d’argent vu qu’il peut avoir en une journée plus de 10 000F « je ne touche pas a mon argent ni ma tante d’ailleurs. Elle sait que je veux faire des études et en même temps si j’ai assez d’argent je compte ouvrir une boutique pour faire du commerce. Ainsi, cela serait un bon début pour réaliser mes autres désirs comme : ouvrir un atelier de couture, construire une mosquée dans mon village (Labé) ainsi qu’une école et même pourquoi pas faire du commerce import-export ».
En attendant la concrétisation de ses souhaits, Ibrahim à 16 heures 30 mange son déjeuner, du pain au thon « c’est moins cher et c’est bon. Mais parfois, je prends du riz avec mes amis, nous cotisons » nous confie-t-il la bouche pleine. Dans 3heures, à 19 heures, il retournera sur ses pas chargé de sa petite boite à la rue Médina. Là, le temps de prendre son dîner gardé par la tante et de devenir pour quelques heures un enfant de 11ans comme un autre : jouant avec sa cousine Kadiatou puis aller dans la boutique d’à coté pour regarder les films d’action et de sciences fictions, ses préférés

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